Saviez-vous que Luxeuil-les-Bains constitue l’une des pierres de la construction européenne ? En 1950, les célébrations du 14e centenaire de la naissance de saint Colomban sont l’occasion d’une réunion secrète d’ampleur internationale. Laissez-vous conter cette page méconnue de l’histoire luxovienne… et européenne !
Un événement qui en cache un autre…
Tout commence en 1948 : Robert Schuman, ministre français des Affaires étrangères, souhaite rencontrer les représentants de pays européens pour jeter les bases d’une coopération, dans le contexte difficile de l’après-guerre. Certains gouvernements ou groupes politiques y étant réticents, tout comme une partie de l’opinion publique, ces négociations doivent rester confidentielles.
Schuman confie à Gabriel Le Bras, conseiller au Quai-d’Orsay, la tâche de mettre sur pied un événement suffisamment crédible pour dissimuler les véritables raisons du rassemblement de nombreuses personnalités internationales. Avec Marie-Marguerite Dubois, professeure de philologie anglaise à la Sorbonne, ils proposent d’organiser un grand congrès international sur saint Colomban.
La figure de cet évangélisateur ayant parcouru le continent européen, était la parfaite occasion de rassembler des spécialistes, des hommes d’Église et d’État. Il se prête d’autant plus à l’événement qu’il est l’un des premiers érudits à utiliser le mot « Europe » dans sa correspondance, à la fin du VIe siècle. En véritable pionnier, il utilise ce terme unique pour rassembler les peuples d’un continent encore profondément divisé entre différents royaumes.
La célébration des 1400 ans de la naissance du saint était prévue pour 1940. La guerre et l’Occupation avaient empêché son organisation. On retient la date de 1950 pour cette grande fête colombanienne, accompagnée d’un congrès historique et international. Dans cette aventure, Marie-Marguerite Dubois accompagne Gilles Cugnier, spécialiste de l’histoire de Luxeuil, et le père Thiébaud, curé de la paroisse.
Luxeuil-les-Bains, témoin secret de la construction de l’Europe
Les célébrations se tiennent du 20 au 23 juillet 1950, sous le patronage de Vincent Auriol, président de la République. Elles accueillent un grand nombre de spécialistes, historiens, théologiens, universitaires et hommes d’Église. Le nonce apostolique (ambassadeur) en France, Mgr Angelo Roncalli, représente officiellement le Vatican. Celui-ci deviendra pape sous le nom de Jean XXIII en 1958.
Les représentants de sept gouvernements européens, en plus de la France, sont présents aux côtés de Robert Schuman. Il s’agit de responsables irlandais, italiens, autrichiens, belges, néerlandais, luxembourgeois et suisses. Ils se réunissent dans la villa du Châtigny, dans le quartier thermal de Luxeuil, pendant ces trois jours de festivités.
Au cours de ces rencontres, aucune indiscrétion ne s’échappe des murs de la villa. La presse et l’opinion publique, malgré le grand nombre de visiteurs venus profiter des animations, ignorent tout des négociations. Aujourd’hui encore la teneur des discussions nous est inconnue, aucun enregistrement ou note n’ayant fuité.
Si ces discussions officieuses n’ont pas débouché sur de grands accords, elles ont participé à établir une réelle entente entre leurs membres. En permettant à ces représentants de différents pays de tisser des liens, parfois d’amitié sincère, ces rencontres secrètes de Luxeuil ont facilité les futures négociations officielles. À titre d’exemple, moins d’un an plus tard, le traité de Paris de 1951 est ratifié. Il porte sur la fondation de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), premier germe de la communauté européenne.